Du rêve (mythifié) d’une Europe unie au cauchemar de la militarisation

 

Par Enrico Zerbo

L’Europe imaginée et propagée pendant des décennies est désormais un mirage : à sa place, une UE qui pousse à la course aux armements, sacrifiant santé, éducation et protection sociale. La rhétorique de la sécurité justifie des dépenses milliardaires, mais à quel prix ? Il est temps de se demander si ce projet a encore du sens.

 

Du rêve d’une Europe unie au cauchemar de la militarisation

L’Europe rêvée et racontée pendant des décennies, cette fédération de peuples unis par des idéaux de paix, de solidarité et de progrès, est une utopie qui n’a jamais pris forme. Ou peut-être que si, durant un bref instant, avant d’être étouffée par une réalité bien différente : une Union européenne qui aujourd’hui ressemble davantage à un consortium d’hommes d’affaires qu’à un projet basé sur des valeurs partagées.

Et maintenant, comme si cela ne suffisait pas, une figure qui pourrait être la réincarnation de Miss Rottenmeier de Heidi – rigide, austère, implacable – nous dit que nous devons nous armer. Contre qui ? La Russie. Vraiment ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et aucune propagande ne peut les masquer. La Russie compte 143 millions d’habitants, l’Union européenne 450 millions : trois fois plus. Sans compter que le PIB de l’UE est d’environ 18 000 milliards d’euros, tandis que celui de la Russie tourne autour de 1 800 milliards, dix fois moins.

Comment Moscou pourrait-elle, réelement, nous envahir ? Même dans l’hypothèse la plus fantasque, si elle parvenait à occuper militairement quelques territoires, elle pourrait tout au plus y planter un drapeau et installer quelques postes de contrôle. Elle n’a ni la force démographique ni économique pour contrôler un continent comme le nôtre.

C’est un peu comme imaginer que le Mexique, avec ses 130 millions d’habitants et un PIB de 1 500 milliards de dollars, envahisse les États-Unis – 330 millions de personnes et un PIB de 25 000 milliards – et en sorte vainqueur. Ridicule, non ? Et pourtant, cette narration est martelée sans relâche pour justifier une course aux armements qui risque de transformer l’Europe. Pas en mieux.

 

La course aux armements : à qui profite-t-elle vraiment ?

Parlons argent, car c’est là que les choses deviennent concrètes. La Commission européenne et certains États membres poussent à augmenter les dépenses militaires pour atteindre des niveaux jamais vus depuis les années de la Guerre froide.

Selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), en 2023 les États membres de l’UE ont déjà dépensé au total 240 milliards d’euros en défense. Maintenant, il est question de doubler ou tripler cette somme dans les prochaines années. Pour donner un exemple concret : l’Italie, qui consacre déjà environ 26 milliards par an au secteur militaire, pourrait se retrouver à débourser 50 ou 60 milliards si la ligne militariste l’emporte.

D’où viendra cet argent ? Certainement pas du néant. Il sera prélevé sur la santé publique, déjà en crise après des années d’austérité ; sur l’éducation, où les écoles tombent en ruines ; sur le système social censé soutenir une population vieillissante et précaire. Chaque euro dépensé pour un char ou un F-35 (qui tombent comme des mouches) est un euro retiré à un hôpital, une crèche ou une retraite décente.

Et ce n’est pas seulement une question de chiffres. C’est un choix politique qui aura des conséquences sociales dévastatrices. Plus de ressources drainées pour les armes signifient plus d’inégalités, plus de colère et plus de terrain fertile pour les extrémismes de droite. Nous l’avons déjà vu : la crise économique de 2008 a fait exploser les mouvements populistes dans tout le continent. Imaginez ce qui se passera lorsque les citoyens se retrouveront avec des services publics réduits au minimum tandis qu’une élite célèbre la “sécurité” en comptant les profits des industries militaires.

L’UE n’est pas une fédération de peuples, mais un agrégat d’États qui se disputent sur tout – des migrants aux budgets – et qui maintenant cèdent à la rhétorique de la peur. Pas question de progrès : nous sommes revenus à la mentalité des années 1930 où chaque nation se repliait sur elle-même en se préparant au conflit.

Le contraste est frappant. Ventotene imaginait une Europe abolissant les armées nationales pour créer une force commune au service de la paix. Aujourd’hui, nous assistons à un retour du militarisme avec des États qui s’empressent d’acheter des F-35 et des chars tandis que les citoyens font la queue pour trouver un lit à l’hôpital. C’est une trahison profonde non seulement des idées de Spinelli et Rossi, mais aussi du peu d’espoir que l’Europe post-guerre avait su incarner.

 

Et alors, que faire ?

Dans cette Union européenne sans valeurs réduite à un marché sans âme et à un porte-voix pour les lobbies militaires, cela a-t-il encore du sens d’y rester ? Ou peut-être est-il temps d’envisager une alternative ?

En sortir comme l’a fait le Royaume-Uni pourrait être une voie – chaotique et pleine d’incertitudes – ou provoquer son implosion en poussant vers un retour à une coopération entre États souverains sans le joug bruxellois pourrait être une autre.

Ce n’est pas une question de nostalgie nationaliste mais bien de survie. Si l’UE n’est plus capable de représenter un idéal – si elle n’est qu’un carcan bureaucratique nous entraînant vers la militarisation et l’austérité – alors peut-être est-il temps de tout repenser.

La question finale n’est pas rhétorique : voulons-nous vraiment une Europe sacrifiant ses citoyens sur l’autel de la “sécurité” ? Ou devons-nous avoir le courage d’arrêter de poursuivre un rêve inexistant pour en construire un nouveau ?

La réponse n’est pas simple. Mais une chose est sûre : continuer à prétendre que c’est l’Europe des droits et de la paix est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre.

 

Source en italien


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Le méchant

L'État est de retour, mais pas pour toi

Nouvelles de nulle part : loin de la foule déchaînée