Le méchant

 

Image d’illustration : Représentation de l'enfer avec le diable au centre

Pour être crédible, le mensonge a toujours besoin d'un méchant, même s'il est de pacotille. Avoir quelqu'un à qui l'on peut reprocher tout ce qui nous dérange peut être très réconfortant.

 

Par Benito Rabal 

Si l'on ose se plonger dans la lecture de l'un des meilleurs livres d'horreur jamais écrits – je parle de la Bible –, et qu'ensuite on passe à la seconde partie, bien pire d'ailleurs, appelée les Évangiles, on découvrira l'un de ses tours littéraires les plus difficiles à surpasser. Il consiste à convaincre le lecteur que le méchant de l'histoire est en réalité celui qui n'a commis aucune méchanceté. À l'inverse, celui qui est supposé être le bon ne cesse de tuer, torturer et humilier tout ce qui se trouve sur son chemin. Inutile de dire que le méchant est le diable et le bon, Dieu.

Je mentionne la Bible parce que c'est le code moral imposé dans notre civilisation, mais il ne fait aucun doute que l'histoire se répète dans les autres. Toutes sont basées sur le principe de divinité, sur l'autorité suprême qui n'admet aucune rébellion. Et c'est précisément ce qui donne au personnage du méchant sa catégorie, la rébellion ou du moins la défense d'un récit différent, souvent plus en accord avec la réalité et les priorités de l'être humain.


Face au principe de divinité et d'autorité suprême qui n'admet aucune rébellion, le méchant est celui qui se rebelle ou défend un récit différent, fréquemment plus en accord avec la réalité et les priorités de l'être humain.

 

Cependant, et malgré cela, il est difficile de comprendre pourquoi, majoritairement, on accepte l'arbitraire divin, face auquel seule la soumission est possible sous la promesse d'une vie imaginaire dans un lieu inconnu, alors qu'en même temps on rejette l'éloge du plaisir et la jouissance de la liberté dans ce monde palpable et réel.

Et face à ce fait incontestable, il n'y a qu'une seule explication. Le mensonge a toujours été mieux raconté que la vérité, c'est-à-dire qu'il a eu de meilleurs narrateurs, peut-être parce qu'ils ont dû faire plus d'efforts étant donné que le mensonge est un fait faux et que la vérité est là, elle ne nécessite pas plus d'explications.

Mais il y a quelque chose de plus. Pour être crédible, le mensonge a toujours besoin d'un méchant, même s'il est de pacotille. Avoir quelqu'un à qui l'on peut reprocher tout ce qui nous dérange peut être très réconfortant et le créer n'est pas aussi compliqué qu'il y paraît. Il suffit de faire appel aux instincts les plus bas de l'être humain, la peur, l'envie ou l'impuissance, pour transformer une accusation en crime, sans besoin de preuves ni de fondements. La répétition constante du mensonge fera le reste.

De cette manière, on parvient à ce que là où la vie donne le moins de joies, là où la pénurie est constante, se trouvent les plus grands défenseurs de l'être tout-puissant qui les a placés dans cette position néfaste, qu'on l'appelle dieu, État ou ordre social.

Je ne raconte rien de nouveau, rien qui ne se soit produit tout au long de notre histoire. Les Rois Catholiques applaudis et sanctifiés malgré l'ordre d'expulser ceux qui avaient le plus d'arts et de culture ; hérétiques et sorcières, scientifiques et philosophes, brûlant publiquement sur les bûchers de l'Inquisition ; le peuple gitan méprisé, empêché de voyager et de transmettre d'un endroit à l'autre les nouvelles qui resteraient cachées ou déformées ; le juif gazé avec ceux qui osaient combattre le nazisme ou le palestinien, dépouillé de ses terres, assassiné par ceux qui furent, eux-mêmes, victimes du génocide ; poètes, musiciens et maîtres, accusés de viols et d'anthropophagie par le fascisme espagnol.

D'une manière ou d'une autre, la façon dont on attribuait la méchanceté au dissident était orchestrée consciencieusement par des professionnels pervers de l'intoxication. Et il en est de même aujourd'hui.

Il n'y a qu'une chose qui différencie les autres époques de l'actualité. C'est nous, les mêmes qui combattons le mensonge, qui finissons par l'engraisser, en nourrissant ses créateurs avec les bénéfices obtenus par la publication de libelles et de calomnies sur les réseaux sociaux. Chaque fois que nous partageons, dénonçons ou protestons en appuyant sur l'écran du téléphone portable, des canailles comme Elon Musk se frottent les mains au son du tintement de leur caisse enregistreuse.

Alors, peut-être, faudrait-il envisager de cesser de les utiliser et de revenir au courrier et à l'épître.

 

Source en espagnol


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