Nouvelles de nulle part : loin de la foule déchaînée

Les choses sont désormais plus folles qu’à l’époque où la DMA – la théorie de la destruction mutuelle assurée – était la doctrine la plus folle (illustré par Batoul Chamas ; Al Mayadeen en anglais)

Par Alex Roberts

Ce qui est différent cette fois, ce n’est pas que l’Armageddon soit désormais plus probable qu’il ne l’était, disons, au plus fort de la Guerre froide. C’est plutôt à quel point notre monde semble devenu totalement irrationnel.

On a toujours eu l’impression que c’était la fin du monde.

Depuis l’aube de l’histoire humaine, il a toujours semblé que l’histoire était sur le point de s’achever. Les peurs et les rêves qui, poussés à l’extrême, alimentent les cultes apocalyptiques, ont toujours, en essence, fait partie de nos cultures dominantes. La brièveté de nos vies mortelles a toujours trouvé un écho dans notre soupçon lancinant que nos civilisations ne peuvent pas durer encore bien longtemps.

Les pestes, les guerres et les famines, les tremblements de terre, les inondations, les comètes et les éclipses, ainsi que les révolutions théologiques, idéologiques et technologiques, ont toutes convaincu nos ancêtres qu’ils vivaient la fin des temps.

La résurgence de la guerre en Europe et l’escalade des conflits au Moyen-Orient ces derniers temps surviennent dans le sillage d’une pandémie mondiale sans précédent dans la mémoire vivante. Le changement climatique s’accélère au-delà du point de non-retour. L’essor de l’intelligence artificielle semble conçu pour nous priver de nos moyens de subsistance, de nos buts et de nos plaisirs dans la vie. Les orthodoxies du libre-échange, qui ont sous-tendu la mondialisation économique et l’ordre géopolitique dominant depuis un demi-siècle, disparaissent. Tout cela donne l’impression, du moins à beaucoup d’entre nous en Occident, que la fin du monde est arrivée. En effet, certains pourraient même l’accueillir comme un certain soulagement.

Ce qui est différent cette fois, cependant, ce n’est pas que l’Armageddon soit désormais plus probable qu’il ne l’était, disons, au plus fort de la Guerre froide. C’est à quel point notre monde semble totalement irrationnel, extraordinairement détaché de la réalité.

Les choses sont aujourd’hui encore plus folles qu’à l’époque où la doctrine de la Destruction Mutuelle Assurée (DMA) constituait le fondement bancal de la paix mondiale.

Au Royaume-Uni, nous avons un Premier ministre travailliste qui semble déterminé à saper les principes de justice sociale sur lesquels son parti a été fondé. Il fait encore plus de tort à l’économie nationale et devient encore plus impopulaire que ses prédécesseurs immédiats lors de leurs périodes désastreuses au pouvoir.

Aux États-Unis, la Maison Blanche est désormais occupée par un criminel condamné. Il a déjà tenté de renverser la démocratie américaine et détruit les fondements économiques et diplomatiques sur lesquels la puissance et l’influence de sa nation se sont construites depuis un siècle. C’est un narcissique et sociopathe dont les discours et les actions ont atteint de nouveaux sommets d’incohérence et d’infantilisme.

Pendant ce temps, en Europe, des pays qui étaient depuis la Seconde Guerre mondiale des bastions de la démocratie libérale se sont tournés vers le populisme nationaliste, xénophobe et autoritaire de l’extrême droite.

La dirigeante de l’un de ces mouvements d’extrême droite, la Première ministre italienne Giorgia Meloni, nous a offert ce mois-ci le spectacle peu édifiant d’être l’objet du regard lubrique d’un vieux monsieur inquiétant à la peau fluo et aux cheveux carrés. Elle est devenue la dernière d’une série de dirigeants européens à devoir se prosterner aux pieds de l’idole orange aux yeux morts dans le Bureau ovale. Keir Starmer au Royaume-Uni et Emmanuel Macron en France ont fait de même.

Avril a également offert le spectacle peu reluisant d’un haut responsable politique britannique cherchant à surpasser la stupidité d’un homologue américain. Ce dernier avait accidentellement invité un journaliste hostile à rejoindre un groupe de discussion où étaient divulgués et débattus des détails hautement confidentiels d’opérations militaires en cours. Le responsable britannique a ajouté par erreur des centaines de députés, d’anciens ministres, de journalistes, et même son propre chef de parti à un groupe WhatsApp privé.

 C’est aussi le mois où un multimilliardaire américain a dépensé plusieurs millions de dollars pour envoyer une pop star mineure à la frontière de l’espace. Un autre magnat de la tech, archétype du méchant de cinéma, semble enfin être tombé en disgrâce auprès de ses clients, de ses actionnaires et de son maître politique. Il avait utilisé le bureau un mois plus tôt pour organiser la conférence de presse la plus surréaliste depuis que Rishi Sunak, au Royaume-Uni, avait décidé d’annoncer la tenue d’élections générales en se tenant dans la rue devant chez lui, sous une pluie torrentielle et sans parapluie.

 Si c’est là le printemps de la déraison, Dieu seul sait ce que l’été nous réserve.

 Mais alors même que l’humanité semble enfin, une fois de plus, avoir perdu tout espoir, toute raison, la tête et même le fil de l’histoire, une vague lueur d’espoir apparaît. Le plus mince quantum de consolation est apparu à quelque 700 mille milliards de kilomètres d’ici, sur une planète lointaine. Nos astronomes pensent y avoir identifié les plus faibles signes de vie extraterrestre. Cette planète est bien loin de toute cette folie, séparée par 124 années-lumière de la foule déchaînée des âmes superficielles, esclaves des discussions sur les réseaux sociaux et de ChatGPT. Cela prouve qu’il pourrait y avoir une plus grande valeur dans l’exploration spatiale que de simples séances photos pour touristes célèbres.

 Cette nouvelle, qui, si elle s’avère exacte, pourrait constituer la plus grande découverte scientifique de l’histoire de notre civilisation, est passée largement inaperçue dans la presse occidentale. Celle-ci est bien plus préoccupée par une mode passagère pour la dernière innovation en intelligence artificielle : sa capacité à créer pour ses utilisateurs des images de figurines d’action personnalisées à leur effigie. Cette fonction de pointe a encore accentué l’infantilisation de notre espèce, et nous avons découvert que nous ne pouvons plus nous en passer.

 Ici donc, comme l’a suggéré un sage poète, nous pouvons enfin nous accrocher désespérément à la perspective qu’il existe une vie intelligente dans l’espace. Car il est évident qu’il n’y en a aucune ici-bas sur Terre.

 Source en anglais

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