Le parquet européen enquête désormais aussi sur von der Leyen - et les médias restent silencieux

 

Photo de couverture : Alexandros Michailidis/shutterstock.com

Par Jens Berger

 

L'enquête sur ce que l'on appelle désormais le "Pfizer Gate", le scandale du "contrat privé" négocié par SMS entre la présidente de la Commission européenne von der Leyen et le chef de Pfizer Bourla, a franchi une nouvelle étape. Comme le rapporte le magazine américain Politico, le parquet de l'UE a désormais repris l'enquête du parquet belge. Cela est remarquable dans la mesure où le parquet de l'UE, qui ne sera créé qu'en 2021, est spécialisé dans les enquêtes pénales au détriment du budget de l'UE. Apparemment, les plus hauts responsables européens de la lutte contre la corruption considèrent qu'il existe un soupçon fondé de délit grave à l'encontre de la plus haute dirigeante de l'UE. Pour les médias allemands, tout cela n'est toutefois pas un sujet. 

 

C'est tout à fait "étonnant". Presque chaque jour, on peut lire sur le plus grand portail d'information allemand Spiegel.de de nouvelles informations sur les enquêtes civiles et pénales menées contre l'ancien et probablement futur président américain Donald Trump. En ce qui concerne les enquêtes pénales contre "notre" présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, on ne trouve pas une seule information sur le portail - pas plus que sur les enquêtes du parquet de Liège. Au journal télévisé de droit public, on se heurte également à un vide béant et les grands journaux sont également plongés dans un silence assourdissant. Seuls la NZZ, le Standard et le Berliner Zeitung remplissent leur mission.

 

De quoi s'agit-il ? En bref : en mai 2021, Ursula von der Leyen avait conclu de sa propre initiative, à l'abri des regards et en contournant toutes les obligations de l'UE en matière de responsabilité et de transparence, un contrat avec le géant pharmaceutique américain Pfizer pour la commande de 900 millions de doses du vaccin BioNTech Corona. A cette date, l'UE avait déjà commandé plus de 2,5 milliards de doses de vaccin. Le fait que le prix convenu de 19,50 euros par dose était nettement supérieur au prix des contrats précédents et très, très nettement supérieur à celui de la concurrence (AstraZeneca 2,30 euros par dose) pose aussi problème. Les détails du contrat ont apparemment été négociés par SMS entre von der Leyen et le chef de Pfizer, Bourla. Ainsi, von der Leyen a enfreint d'innombrables règles de l'UE.

 

Suite à cela, un lobbyiste pharmaceutique belge l'a dénoncée à la justice belge pour "ingérence dans des fonctions publiques, destruction de SMS, corruption et conflits d'intérêts" et le parquet de Liège s'est chargé de l'enquête. Dans le cas concret, il s'agissait du fait que l'État belge avait également subi un préjudice de plusieurs milliards de dollars suite au deal de von der Leyen avec Pfizer. L'enquête a été ouverte il y a un peu plus d'un an et depuis, on n'a plus beaucoup entendu parler de son avancement. Le fait que le parquet de l'UE ait désormais repris l'affaire laisse supposer que les investigations des Belges ont d'une part renforcé les soupçons à l'encontre de von der Leyen, mais que d'autre part, ils n'ont pas pu aller plus loin eux-mêmes, car la Commission européenne ne relève pas de leur compétence.

 

En revanche, le parquet de l'UE peut, grâce à la loi, saisir non seulement les preuves du bureau de von der Leyen à Bruxelles, mais aussi celles de son bureau allemand. Il est piquant de constater que cette autorité n'a été créée qu'en 2017 et qu'elle a commencé à travailler en juin 2021, peu après l'accord de von der Leyen avec Pfizer. Même si les effectifs de cette nouvelle autorité sont faibles, elle avait déjà remporté quelques succès, notamment dans le cadre des affaires de corruption et de fraude liées aux aides de l'UE dans le cadre du fonds d'aide Corona. Le fait que cette autorité ait maintenant repris l'affaire ne plaira ni à von der Leyen ni à Pfizer et laisse supposer que les enquêtes menées par les Belges ont abouti à des résultats pénalement répréhensibles.

 

Il ne s'agit donc pas ici de petites choses, mais de questions pénales très sérieuses, au centre desquelles se trouve une présidente de la Commission européenne qui est actuellement en campagne électorale et qui vise un deuxième mandat. Le fait que les médias allemands ne parlent pas de l'enquête est un véritable scandale médiatique. Ce n'est que grâce à la couverture médiatique du magazine américain Politico, qui appartient curieusement à la maison d'édition Springer, et du New York Times, qui a parallèlement intenté une action en justice pour obtenir la publication des documents contractuels, que le "deal" a pu être connu. Last but not least, le député européen Martin Sonneborn s'est rendu très utile en faisant connaître l'affaire à plusieurs reprises. Il nous en apprend plus sur la corruption et le népotisme dans l'UE que toute la presse allemande de qualité réunie.

 

La suite de l'affaire reste ouverte. Il est très improbable que le parquet de l'UE puisse présenter des résultats avant les élections européennes et il est peu probable qu'il fasse une descente dans le bureau de la présidente de la Commission en pleine campagne électorale. De toute façon, on peut supposer que von der Leyen a déjà détruit les preuves. Elle a de l'expérience en la matière. Pfizer étant une entreprise américaine, les enquêtes de ce côté-là risquent également d'être problématiques. La pression publique pourrait changer cela. Mais d'où peut venir la pression publique si personne n'en parle ? Et c'est ainsi que, selon toute vraisemblance, nous aurons cet été une nouvelle ancienne présidente de la Commission qui sera simultanément sous le coup d'une enquête de la part de sa propre agence de lutte contre la corruption. En Europe, nous ne sommes visiblement pas si différents des Etats-Unis.

 

Source en allemand

 

Jens Berger est journaliste indépendant, blogueur politique et rédacteur en chef de NachDenkSeiten. Il traite et commente les questions de politique sociale, économique et financière. Berger est l'auteur de plusieurs ouvrages non romanesques, tels que « The Kick of Money » (2015) et le best-seller du Spiegel « Who Owns Germany ? » (2014).


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