Je n'aime pas ça



Nous pensions que les progrès techniques feraient de notre monde un espace large et libre, et pourtant nous l'avons rendu petit et dépendant.


Par Benito Rabal 

Peut-être que je vieillis, mais je n'aime définitivement pas ce monde que nous construisons. J'en veux profondément aux publicités pour la bière qui assimilent la consommation à la liberté, au culte exagéré du corps, à l'abondance de tatouages sans signification, aux barbes taillées ou aux cheveux dessinés en filigrane savant, dont l'élaboration prend tant de temps qui devrait être consacré à la réflexion.

Je déteste les chansons qui ne parlent que d'amours particulières avec des rimes faciles, sans aller au-delà du je t'aime, tu m'aimes, il m'a quitté, tu m'as quitté. Je trouve difficile de reconnaître les différences entre un interprète et un autre. La technologie moderne donne une voix à ceux qui n'en ont pas, répare ce qui est désaccordé, impose des tons choraux de manière mécanique et artificielle. Trop souvent, il importe peu de savoir quelle émotion la musique provoque, mais seulement si elle sera entraînante, si elle se vendra bien ou non.

Il existe de nombreux films qui ne respectent pas le début, le milieu et la fin classiques. En l'absence d'histoire, ils se contentent de capter une situation sans prendre parti, privant de son caractère didactique cet excellent vecteur de communication et de réflexion qu'est le cinéma. Le message nécessaire disparaît au milieu de mouvements de caméra invraisemblables et d'effets numériques éblouissants.

Trop de littérature recréant des univers irréels et des intrigues prétendument historiques, à travers des personnages archétypaux aux noms impossibles à prononcer qui, au fil d'un nombre exagéré de pages et d'adjectifs, concourent à des situations éculées et prévisibles, comme si leur fonction n'était plus de transporter le lecteur dans le monde du plaisir que procure la connaissance, mais simplement de lui faire passer un bon moment pendant qu'il voyage à bord du train ou du bus de la maison au travail.

Il en va de même pour la peinture, qui ne reflète pas la crasse des puissants dans l'expression de ses modèles. Il suffit qu'il décore. Tout comme de nombreux architectes se contentent de terminer leurs œuvres par un élément reconnaissable. Leur objectif n'est pas d'améliorer la vie de ceux qui vont profiter de leurs bâtiments, mais de pouvoir être photographiés à côté d'eux ou, dans le cas des maisons, de pouvoir dire : "J'habite dans les maisons bleues où il y a une corniche rouge inutile sur le toit", afin que les invités potentiels ne se perdent pas.

Nous pensions que les progrès techniques feraient de notre monde un espace large et libre, et pourtant nous l'avons rendu petit et dépendant. Rien n'existe s'il n'apparaît pas sur un écran, qu'il s'agisse d'un téléphone portable ou de tout autre écran à portée de main. Nous ne voyageons pas si nous ne partageons pas de photographies ; au restaurant, nous ne mangeons pas tant que nous n'avons pas capturé l'image de ce que nous allons manger ; la fête n'est pas une fête si nous ne montrons pas sur les réseaux sociaux nos visages en sueur, souriants et légèrement cernés par l'alcool.

J'insiste, c'est peut-être parce que je vieillis. Je ne veux pas dire que n'importe quelle époque du passé était meilleure ou que je me souviens de ces années avec nostalgie. Bien sûr, il y a ceux qui continuent à faire de la dignité leur seule bannière !

Mais il semble parfois que nous ayons renoncé aux rêves de liberté et de fraternité, à la réalisation d'un monde plus juste et plus égalitaire, comme si nous nous étions contentés de la défaite sans penser que perdre des batailles ne signifie pas que nous sommes vaincus.

Il ne suffit pas de cliquer sur le bouton de nos appareils pour résoudre les problèmes. Ce n'est que la lutte quotidienne qui fait tomber les murs.

Tatouages ou pas, soyons réalistes, demandons l'impossible !


Source en espagnol


Benito Rabal est un réalisateur espagnol de documentaires et de films

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